Gris...
C'est triste, c'est morne, c'est lugubre, c'est... blafard.
Comme une façade pourrissante d'immeuble, comme une ruine tombante de béton et de fer... fer... comme le goût du sang... comme l'amertume des larmes.
Larmes, alarmes...
Mais qui se soucie du chagrin d'un immortel quand tout le monde meurt autour?
C'est cela, bande de chacals, de hyènes enragées...
Crevez tous!
Tripes à l'air, comme une ceinture d'Aphrodite pour vous rendre enfin attirants... que dis-je?! pour vous rendre enfin visibles à mes yeux ensanglantés...
Rouge...
Tout ce rouge autour de ma prunelle devenue...
Noire.
Noire comme les ténèbres, comme le néant qui soudain a englouti ce sein déjà submergé par la peine, comme les nuits les plus sombres où les miens volent la vie des Siens en ombres furtives et immondes...
Il n'y a rien de Rociel dans ce regard...
Rien.
Fini l'éther aux paillettes d'or, finies ces attitudes efféminées, cette allure éthérée...
Rociel est mort!
Mort, vous entendez?!
Ne règne à la place dans ce regard insensé, happé par quelque vision obscure d'un vide fatal... que cette folie embrasée. Brasier changeant où seule reste...
cette lueur d'éternité.
L'éternité comme un long sanglot, comme un parfum surrané que l'on respire, à pleins poumons, pour mieux s'enivrer, pour mieux s'empoisonner...
Eternité...
Que m'offres-tu?
A part un cortège de doutes et de peurs?
En dehors de la sanglante traîne du mal que l'on sème, que l'on s'aime, du malheur qui gangrène, comme une vieille rengaine...?
Eternité...
Tu n'es plus ma délivrance mais ma prison.
Tu n'es plus ma liberté, mais ma damnation.
Quoi?
Je pourrais respirer sans lui, chanter, boire... vivre sans lui?!
Mourir sans lui...?
Non!
Je te ramènerais! Dussé-je y laisser de moi un peu plus encore...
De toute façon, ne le vois-tu pas...? Je suis déjà marqué...
Les Parques d'un grand coup de hachoir ont amplifié l'écho du ciseau qui à l'instant où il tranchait le fil trop fragile de ta vie éphémère marquait sur ces chairs devenues soudain si ternes, si fades... sur cette surface abjecte le sceau de ma douleur.
Bête...
Je suis devenu une bête.
Un animal qui s'éveille autour des cadavres qu'il a semés, laisse son regard, vide.... si vide... creux comme cette poitrine où il manque un battement... laisse ce regard métamorphosé se poser sur ses victimes tantôt égorgées, tantôt éventrées...
Tiens, est-ce moi qui ai fait tout cela?
Une surprise teintée de... rien.
Toujours ce même rien, ce même foutu néant qui me ronge, absorbe mes émois, dévore l'organe qui de toute façon bat déjà si piteusement...
Lilianite...
Destruction.
Création.
La rime fatale, le paradoxe ultime, dans un lien tranché, à la faveur d'une vie, tranchée elle aussi...
Allez, coupe, cisaille, fauche... fauche Ankou, broie Malheur, dans ta poigne féconde jusqu'à la lie de nos âmes écoeurées qui se traînent, mais qui se traînent... si lentes, si lourdes, si... pathétiques... en ce bas-monde.
Tu ne veux pas?
Alors c'est moi qui viendrais te chercher et plantant mes crocs dans les chairs purulentes de ta gorge enflammée, je m'abreuverais de toute la fange, de toute la bourbe dont regorge ton gosier, et je vomirais ces horreurs et ce parfum immonde jusqu'à ce que mon haleine, toute imprégnée de ton suc infect finisse par rejeter et distiller au creux même de mon esprit le goût de sa perdition... pour qu'enfin ce palais qui n'est que ruines branlantes s'étouffe, que cette gorge qui n'a su s'obstruer abreuvée de larmes se serre, enfin oppressée, par le sordide joug de cette souffrance infernale.
Pour qu'enfin ma voix...
Cette voix qui elle n'a pas changé...
Cette voix cesse de l'appeler...
Répéter, en vain, comme un refrain, la formule enchantée... de son bonheur passé, comme un souffle ténu qui s'échappe, qui s'enfuit, qui t'attache, te cloue... te crucifie. A la croix même de cette piteuse vie.
"Nikolaï..."
Griffer, mordre, déchiqueter, dépecer, lacérer...
Sont-elles à moi ces mains... que dis-je?! ces serres ensanglantées?
Qu'est-ce que ces mèches noires et blanches? Et cette peau... si....
pâle?
Non, pas pâle...
Si triste?
Morne?
Mélancolie... Beauté d'hôpital...
Ma mémoire qui défaille, alors que je promène ma vue _ MA vue! au moins
m'appartient-elle encore... contrairement à la raison qui me fuit_ sur
les martyrs que j'ai supplicié...
Pourquoi?
Pourquoi cela?
Cette peau, cette apparence monstrueuse...
Etait-ce pour me châtier?
Est-ce la preuve de mon tourment ou ma punition?
Comme une marque au fer rouge imprimée sur l'esclave possédé...
Laissez-moi...
Laissez-moi...
Quoi?
Chanter? Pleurer? Gémir? Supplier?
Créer...?
Oui, c'est cela... n'oublie pas...
N'oublie jamais cela...
Rociel...
Ce nom...
Il me fait mal... il m'opprime, comme un étau dans cette maigre poitrine...
Création...
Tu as beau être damné, tu continueras de lutter...
Croire et rêver...
Et puis surtout... espérer.